Le Ciel vu de la Terre «
Tous les chemins vont vers la ville.
Du fond des brumes, Là-bas, avec tous ses étages Et ses grands escaliers et leurs voyages Jusques au ciel, vers de plus hauts étages, Comme d'un rêve, elle s'exhume » La Ville (Emile Verhaeren, Campagnes Hallucinées) L’homme, lorsqu’il s’ennuie, enfile sa petite tenue de lèpres façon pyjama et construit sur des verticales avec du verre, de la pierre, du béton et de l’acier, ce qu’il pense être constitutif de son avenir. Très tranquillement, il appelle cela « ville » et, tout aussi sereinement, il s’émancipe de la campagne. Affublé des oripeaux arrogants autant qu’artificiels qu’il se tisse commodément, il convoque le pouvoir financier, les décisions politiques, la foi et les oppose, toujours plus haut, à ses racines. Ce sont les institutions qu’il braque contre les restes du monde, c’est la Tour de Babel du langage qu’il dresse contre Dieu, c’est sa maison aussi qu’il érige toujours plus haute contre ses origines plus horizontales. L’architecture est le cri de sa seconde naissance sociale, celle qu’il avale et régurgite : il s’en fait festin, en écrit les lois et s’y enferme. Jordane Prestrot choisit l’angle de la contre-plongée pour montrer l’humanité dans son absence et ainsi témoigner du paradoxe qu’est la solitude en milieu urbain. En effet, en prenant le parti de tronquer la perspective et de la symétriser au possible, le photographe questionne l’humanité pour mieux en dévoiler l’absurdité et l’arrogance. Saisie très exactement au milieu, la mélancolie s’invite en filigrane tant les villes semblent désertées, comme évidées de tout : personne ne regarde jamais par les fenêtres, le rire des enfants, s’ils existent, ne résonne sur rien, tout est calme, le temps s’est comme arrêté sur une absence d’âme. Ainsi, si les tumultes des campagnes ont bien été mangés par ceux des villes tentaculaires, l’homme s’est peu à peu enfermé dans cette solitude qu’il s’est lui-même fabriquée, tissant par-delà les métropoles géométriques une camisole implacable. Esseulé et noyé qu’il est dans la masse, il erre désormais dans ses guenilles, individualité solitaire parmi tant d’autres. Pris de remords, il accrochera bien alors sa petite tenue de lèpres sur un cintre pour finir d’attendre, sur le rebord d’un lit, que l’univers tombe avec lui. Alban Orsini
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Contre-Plongeons
[parisiens]
Exposition à l'Hôtel Georgette, Paris (FR), 2014.
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« J’ai un problème avec l’esthétique des
villes, d’un point de vue
horizontal. À hauteur d’homme, il y a beaucoup de choses qui me
déplaisent voire qui me heurtent. [..] C’est peut-être comme ça que je
me suis mis à photographier les bâtiments en contre-plongée. Découpés
sur le ciel, libérés de leurs trottoirs, de leurs portes et de leurs
humains, je trouvais ces morceaux d’architecture vraiment beaux. À
partir de 2005, j’ai commencé à systématiser les photos de ce genre.
Bien vite, rassemblées en série, je me suis rendu compte qu’elles
racontaient quelque chose de notre monde, de nos démonstrations de
puissance, actuelles ou passées. Je pouvais ainsi mettre directement en
relation la tour Total de la Défense avec une cathédrale néogothique.
Sans un mot, cela faisait sens. »
Extrait de l'interview pour le webzine
Culturopoing, le 20 october 2014.
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Contre-Plongeons
Exposition à la Médiathèque Municipale de Guebwiller
(FR), 2013.
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Points d'humains donc sur ses prises de vue mais des lignes
de fuite, des structures, des monuments, des sièges d'entreprise, des
édifices religieux... Des angles de vue qui servent de révélateur à des
ambitions mais aussi à des réalités plus dures : des entreprises ont
voulu des sièges qui en imposent autant qu'elles-mêmes ; des lieux de
pouvoir, hier grandioses, se disloquent comme les états qu'ils
représentent ; des immeubles sont aussi écrasants que la vie de ceux
qui y vivent. Les ciels et les ambiances accentuent ces perceptions.
[...] Jordane Prestrot donne à voir des morceaux du monde tels qu'il
les sélectionne. [...] C'est aussi une manière de redonner une poésie
et une esthétique à un monde qui en manque à ses yeux. Un travail
graphique sur l'architecture, qui confie presque à l'abstraction, et
qui oblige à revenir à l'essentiel.
Élise Guilloteau dans L'Alsace du 11
septembre 2013.
↪ article complet « C'est quelque chose de monumental, qui représente la force
qui tient le pouvoir. On voit le pouvoir lointain et proche, cette
contre-plongée interpelle », a constaté Bernard Laplagne, adjoint au
maire de Guebwiller.
G.S.H. dans L'Alsace du 23 septembre
2013.
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« Des gens sont venus me dire qu'ils trouvaient ça beau mais
un peu triste, voire glacial », indique une employée de la Médiathèque
à Jordane Prestrot. Le photographe acquiesce : « Cela reflète bien
le
fait que je n'ai pas une vision super-optimiste du monde contemporain.
» La Tour Total en région parisienne, la Barclays Bank à Londres, le
Parlement européen à Strasbourg (« Sur le modèle de la Tour de
Babel,
étonnant comme symbole, non ? ») ou encore Notre-Dame de Paris, autant
de lieux de pouvoir — qu'il soit spirituel, politique ou financier —
qui ont inspiré Jordane Prestrot dans sa démarche.
« Ce qui n'était qu'un parti pris esthétique au départ (en 2005) m'est apparu comme un projet cohérent au fur et à mesure des années de voyage et des clichés qui s'accumulaient. Il m'a semblé intéressant d'exploser la manière dont l'humain a construit en haut à travers les âges. Dans les points communs des différents bâtiments, comme dans leurs différences. Il faut bien constater qu'il y a une certaine mégalomanie qui se détache de tout ça. [...] (Mais) à bien y regarder, on arrive à trouver une certaine beauté là où on ne l'aurait pas crue possible. En cela, la photographie m'a rendu tolérant. » Matthieu Pfeffer dans les DNA du 20
septembre 2013.
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« Contre-plongeons »,
le livre 1ère édition - juin 2014
en 12 exemplaires signés et numérotés 50 pages / 47 photographies 18 x 13,5 cm Épuisé |
Le Petit Livre des « Contre-plongeons [parisiens] » à imprimer soi-même télécharger |